Baby Zèbre (1) : mon premier doute
Bastien, zèbre trentenaire surdoué diagnostiqué sur le tard, est alerté par la maîtresse de sa petite fille Gabrielle. Certains signes ne trompent pas. Il raconte. Première partie.
À quel âge un enfant peut-il montrer, pour la première fois, des signes de précocité ? Zèbre avant 3 ans, est-ce vraiment sérieux ? Bastien est journaliste, père d’une petite Gabrielle âgée de deux ans. Diagnostiqué surdoué à l’approche de la trentaine, il s’interroge aujourd’hui sur les facilités de sa fille et l’attitude à adopter pour l’accompagner au mieux. Ou quand un zèbre en cache un autre. Première partie. Nous suivrons Bastien toute l’année 2020/2021.
Par Bastien Lantelme
La surdouance – quel que soit son nom, quelle que soit sa forme – ne faisait pas partie de mon quotidien. C’était un vague souvenir, une donnée intégrée à mon logiciel, le résultat d’un test de QI passé à une époque difficile de ma vie. J’y pensais rarement. Jusqu’à cette matinée de juin, où travaillant chez moi à la rédaction d’un article, j’ai senti mon smartphone vibrer. À l’écran s’est affiché en toutes lettres « Crèche Gabrielle ». En une fraction de seconde, est monté en moi ce sentiment d’inquiétude qui saisit alors tout parent, partagé entre l’angoisse d’un accident grave et l’irritation qu’une banale fièvre vienne, une fois de plus, écourter une journée de labeur déjà trop courte.
« Bonjour Monsieur Lantelme, pardonnez-moi de vous déranger, c’est Madame Tissier-Lefranc de la crèche Saint-Ferdinand… » La directrice me rassure immédiatement. Gabrielle se porte comme un charme et termine un énième dessin d’escargot. J’ai juste oublié de remplir un formulaire sans grande importance, formalité dont je promets de m’acquitter le soir même quand j’irai la chercher. Le degré zéro de l’urgence. Mais je sens bien, aux intonations de mon interlocutrice, qu’il y autre chose. Cette dernière cherche à prolonger la conversation et se lance dans un monologue sur les qualités de Gabrielle, ô combien attachante, ô combien dégourdie. J’ai beau être flatté dans mon égo de père, je n’écoute que d’une oreille, pressé d’en finir et de retourner à mes deadlines, le bouclage du journal et ce satané article que je n’arrive pas à finir. « Vous savez, selon moi, Gabrielle est vraiment très en avance ; vous avez réfléchi à l’inscrire à l’école dès la rentrée prochaine plutôt qu’en dernière année de crèche ? »
Rarement, en si peu de mots – pourtant ordinaires –, je n’avais été ramené de manière aussi radicale à la question de la zébritude. J’ai baragouiné une réponse incompréhensible et j’ai raccroché. Un seul mot m’est alors venu à l’esprit : « déjà ? »
Pendant longtemps, il a semblé que seuls les enfants pouvaient être zèbres. Ce n’est que récemment que les psychologues ont commencé à s’intéresser à l’adulte surdoué, dénouant les angoisses et les questions inavouées – car inavouables – de celles et de ceux qui souffrent en silence, n’osant se poser comme « supérieurement intelligents ». Car que devient un petit surdoué en grandissant ? Un adulte surdoué qui, parfois, fait à son tour des enfants. Logique. Mais ne vous y trompez pas. Quand il se penche au-dessus du berceau de sa progéniture, l’adulte surdoué est alors saisi d’un léger vertige : et si, pour son bonheur ou son malheur, son propre enfant avait hérité des mêmes rayures que lui ? Commence alors un jeu où il est bien difficile d’être objectif. Personnellement, craignant de sombrer dans la caricature du parent muet d’admiration et obsédé de réussite, j’ai eu tendance à relativiser ces questions, les renvoyant à plus tard. Ai-je fermé les yeux sur certains indices ? La directrice de la crèche ne s’emballe-t-elle pas ? Peut-on vraiment détecter des signes de précocité à un ou deux ans, voir dès les premiers mois de la vie ?
Oui, si l’on en croit Monique de Kermadec et Sophie Carquain, auteures du Petit Surdoué de 6 mois à 6 ans, publié chez Albin Michel. « La précocité ne démarre pas à 3 ou 4 ans, au moment de l’entrée à l’école. L’intelligence ne se met pas en route pour lire, écrire et compter. Elle est là, prête à être éveillée. Prête à donner le meilleur d’elle-même ». Je médite cette phrase en allant chercher Gabrielle à la crèche le soir-même. Nous rentrons à pied, comme tous les jours. J’interroge ma fille sur sa journée, ses activités, ses amis, son déjeuner. De sa petite voix fluette, ma fille me soutient mordicus qu’elle a mangé le midi même du poisson et du poulet, ce dont je doute fortement, ayant quelques notions de diététique et une confiance aveugle dans les menus établis par le service de la petite enfance. Un mètre devant nous marche une dame élégante. Elle se retourne, nous observe, fait quelques pas, se retourne une seconde fois. Avant de nous interpeller. « Mon Dieu, je pensais que l’enfant qui parlait derrière moi avait 6 ou 7 ans ! Elle parle comme une jeune fille ». Cette rencontre finit de m’assommer.
« Ça ne m’étonne pas du tout !, s’enthousiasme ma mère au téléphone, elle a tellement de vocabulaire. Et puis toutes ses réflexions, ça va vite, là-haut ». Je me retiens de lui rappeler qu’elle m’a tenu le même discours, quasiment au mot près, il y a six ans, quand je lui ai annoncé les résultats de mon test. « Quand tu étais petit, tu me faisais un peu peur », confiera-t-elle alors. Est-ce que Gabrielle me fait peur ? Non. Tout en elle respire la joie de vivre. Et notre complicité m’émerveille, notamment dans la lecture. Car comme moi, ma fille dévore les livres que je lui achète. D’ailleurs, sans m’en apercevoir, dans les rayonnages des libraires, j’ai commencé à puiser des ouvrages destinés à des enfants plus vieux. Les autres, de son âge, faisaient « trop bébé ». Est-ce là un signe ? Et l’inscrire à l’école si tôt, est-ce une nécessité ? Il y a deux semaines, il est vrai, en passant devant le collège de notre rue, elle m’a déclaré tout de go : « Moi, je veux aller à l’école pour apprendre des trucs ». Mot d’enfant sans conséquence ?
Les prochains jours se passeront dans l’hésitation. Je demande conseil. Faut-il envisager de faire passer un test à Gabrielle ? Le WPPSI-IV n’est conçu que pour les enfants à partir de deux ans et demi, un âge que Gabrielle atteindra dans quelques mois. Je suis d’ailleurs sceptique sur l’intérêt de m’adresser, à ce stade, à un professionnel de santé. Néanmoins, je me décide à appeler la mairie. Autant ne pas mourir idiot. Une dame m’explique très gentiment que les écoles maternelles de notre commune ne prennent pas les enfants de l’âge de Gabrielle mais qu’un établissement privé, tout proche, y consent. Et qu’il est tout à fait possible de rebasculer dans l’enseignement public l’année suivante. Soit deux changements majeurs pour une enfant si jeune… L’absurdité du raisonnement me ramène à un peu plus de raison. Gabrielle est heureuse à la crèche. Elle adore son environnement, elle est stimulée intellectuellement, se sent en sécurité. Tout va bien. Pourquoi s’embarquer dans une telle aventure ? Pour savoir ? Pour être certain de ne pas manquer une étape ? Invité dans l’émission La maison des Maternelles, sur France 5, en octobre 2017, le pédopsychiatre Gabriel Wahl met en garde contre la tentation du diagnostic à tout prix : « Il n’y a pas d’impérieuse nécessité à identifier des enfants précoces. L’immense majorité des enfants surdoués ne sont pas identifiés comme tels. Ils ne passent pas de test et tout va très bien. »
J’ai renoncé à l’idée d’avancer d’un an l’entrée de Gabrielle en maternelle. Mais puisque ma fille veut « aller à l’école apprendre des trucs », je lui ai proposé de commencer à la rentrée une activité extra-scolaire, adaptée à son âge : un atelier d’éveil musical parent-enfant, que j’ai pompeusement rebaptisé « l’école de musique ». Nous en avons parlé tout l’été, nous réjouissant par avance de ces nouveaux rendez-vous complices. Zèbres que nous sommes. Ou pas.
N’hésitez pas : réactions, questions, conseils à Bastien en commentaire.
Vous souhaitez témoigner à votre tour ? Le mail de la rédaction : parentsdezebresATgmail.com
Pour souscrire à notre newsletter hebdo Parents De Zèbres, cliquez ci-dessous. CADEAU pour les 200 premiers abonnés : le minimook gratuit et inédit pour les parents de zèbres un peu dépassés qui cherchent à y voir plus clair.
Salut Bastien, histoire très similaire ici... J'ai 4 petits et la dernière a un an dans 12 jours ... Et j'ai mis dans ma bio que j'ai 4 petis zèbres....
#ComingOutMenteuse
Je ne suis pas une menteuse. A priori 😆... mais j'ai découvert ma zebritude au premier confinement et j'ai eu le temps de lire ded montagnes de bouquins puis de faire tester les trois premiers enfants + mari et le résultat était sans appel. Claire, la dernière avait alors 3/4 mois. Elle ne pourra pas être restée avant un an et demie. Mais franchement pas nécessaire...
Depuis que je sais, je reconnais les signes et aujourd'hui je peux dire en étant super droite dans les bottes que Claire est la plus douée d'entre nous.
Ce sera la seule de mes enfants qui commencera sa vie en étant relax sur le sujet et tests ou pas on la nourrit déjà de tout ce qui passe (j'en suis à complexifier les signes de communication, et elle "dévore" les bouquins comme la tienne) .
Ta position me semble être la bonne : lui donner autant qu'elle veut mais ne pas la déclasser car ils sont encore trop jeunes pour gérer la différence.
Ces enfants fascinent les adultes normaux qui veulent tjrs les voir aller plus vite. Mais sauter d'une classe c'est hyper violent!
Mon aîné est désormais dans une école spécialisée à Paris et sa vie a changé. C'est le plus vieux de sa classe de CM2 (10 ans 😆😆😆) mais c'est le plus adapté et le plus zen...